le 12/11/2018
De belles images, une bande-annonce qui claque, je me suis laissée piéger une fois de plus et je me retrouve devant le film Bohemian Rhapsody. Faut dire que Rami Malek est vraiment convaincant en Freddie Mercury, tout en charisme, queerness et amour des chats, et comment aurais-je pu résister face à un tel portrait.
Pourtant j'avais établi des règles strictes concernant les biopics. Ce n'est pas la première fois que je me fais avoir. C'est que les biopics, c'est très à la mode, il en sort 4 par mois et on a pas fini d'écumer les fonds de tiroir de nos malheureuses célébrités. Historique, politique, show-business, tous les pays ont leur portrait à marketer. C'est peut-être cette tendance de sortir des films en s'appuyant sur une “marque”, une “licence” qui a fait ses preuves, dans l'espoir de s'assurer de bons chiffres de vente. Ou l'idée qu'il n'y aura pas trop d'effort à mettre coté scénario, puisqu'il suffit de suivre la vie déjà écrite de la personne. C'est se faire une bien pauvre idée de ce que c'est de faire un film, et les échecs ne manquent donc pas. Mais voila, je ne résiste pas à une bonne histoire sur des célébrités queer, et si la B.O. est assurée par Queen eh bien, ça ne peut pas être entièrement un mauvais moment. Comme quoi l'expérience n'empêche pas de faire des erreurs.
Bohemian Rhapsody est un bon cas d'école cependant, car il regroupe à peu près tous les problèmes que je reproche aux biopics de base. Je crois que c'est Vox qui a qualifié le film de resucée d'article Wikipedia, et j'aurais tendance à être d'accord. Oui, on parle de Freddie Mercury, qui a eu une vie, déjà tragiquement trop courte, mais surtout bien remplie, intense, et qui a marqué l'histoire de plusieurs façons. Oui il y a beaucoup, beaucoup à dire, et sa vie, sa personnalité sont intéressantes sur bien des plans. Je prétend cependant que pour un bon récit, elle ne se suffit pas à elle-même. Je prétend même qu'il y a façon de raconter les histoires, et de les rendre interessantes.
Bien sur ça m'interesse qu'on me raconte des anecdoctes sur la vie de Freddy Mercury. Entre amis au cours d'un repas, le long d'un thread sur twitter, ou même le long d'un article wikipedia. C'est du contexte, de la matière à réflexion, des choses qui vont me donner matière à penser et me donner envie d'aller plus loin.
Mais quand je vais voir un film, je vais voir une histoire, qu'on me raconte pendant près de deux heures. Deux heures, c'est trop long pour retenir mon attention au travers d'une série d'anectodes, même illustrées et bien mises en scène. Un film doit prétendre dire quelque chose, avoir un propos, faire passer un message, pas illustrer une page de l'encyclopédie avec quelques très bons acteurs.
Les biopics n'illustrent tellement pas une page de l'encyclopédie qu'il devraient d'ailleurs nous apporter d'eux-même du contexte et des informations. Ca parait fou mais si je vais voir un film censé me raconter la vie d'une personne, je m'attend à en apprendre plus sur elle et sur sa vie. Mais beaucoup de biopics considèrent que les gens qui viennent les voir connaissent déjà la vie de la personne de fond en comble, et parte donc de ce principe pour enchaîner allusions et clins d'oeil à leur prétendu public. Alors je dis pas, c'est peut-être moi qui manque de culture générale, mais quand le film passe son temps à faire allusion à des événements cruciaux dans la vie de la personne dont il parle sans que j'ai la moindre idée de ce dont il s'agit, bha déjà je me sens bête (ça encore, je peux faire avec) mais surtout je ne comprend rien et j'ai l'impression de manquer la moitié du propos.
Et puis, du contexte, il faut en donner. Prenons la vie de Freddie Mercury justement. Cette personne a révolutionné le monde de la musique. Il a changé la façon de donner des concerts, il a introduit avec Queen de nouvelles façon de faire du son et du rock, une nouvelle façon de faire de la scénographie, une nouvelle façon de faire des clips vidéos, et ils ont fortement inspirés nombre d'artistes musicaux majeurs. En bref, ils ont changé le monde de la musique (et sans vouloir vexer personne, en partie grâce à la personnalité de Freddie Mercury). Cela, je le sais suite au divers lectures que j'ai pu faire depuis que j'ai vu le film. Devant le film, je n'ai qu'une très vague idée de leur place dans le milieu musical de l'époque, mis à part qu'ils ont du succès.
Et je ne parle même pas du positionnement ouvertement bisexuelle de Freddie Mercury, et du fait qu'il ait contracté le sida sur la fin de sa vie. Le film y fait allusion, et met en avant plusieurs de ses relations homosexuelles (encore que pas toujours sous un jour favorable, faudrait voir à pas trop s'éloigner du modèle normé), et passe pratiquement sous silence la période de sa vie où il souffre du sida. Mais plus que ça, il n'évoque pas, ou très peu, l'histoire des LGBT+ de l'époque. On parle des années 70/80, de la vague “cuir moustache”, de la libération des mœurs dans les milieus homosexuels et de la farouche répression conservative dont ils étaient victimes. Comment apprécier la force des costumes outranciers de Freddie, ou du clip de Queen où tous les membres du groupes apparaissent travestis, si on ne sait pas à quel point ce genre d'attitude était scandaleuse et réprimée à cette époque, comment bien comprendre l'obscession malsaine des journaliste quand à la vie de Freddie si on ne sait pas que les émeutes de Stonewall sont encore fraiches dans les mémoires? Et comment réaliser la gravité de l'état de santé de Freddie, la sentence qui est appliquée quand on lui apprend qu'il a le sida, si on n'est pas un peu renseigné sur l'épidémie, l'hécatombe qu'elle a provoquée, en particulier dans la communauté LGBT+, la vitesse à laquelle les gens mourraient, dans la plus complète impuissance. Il y a beaucoup de choses qui sont évoquées dans ce film, mais il ne s'agit guère plus que d'allusions, de notes en bas de page, qui ne seront pas approfondies et qui ne nous apprendront rien.
On peut pourtant se servir de la vie d'une personne pour avoir un propos ou expliquer une situation historique et son évolution. Tom of Finland, par exemple, est un biopic qui suit son sujet sur une très longue période de temps, souffrant de quelques longueurs ou d'ellipses difficiles à suivre, mais qui parvient très bien a nous donner un aperçu de la situation des homosexuels et de la façon dont elle a évolué, au sortir de la guerre et jusqu'à l'épidémie du sida, le tout à travers les yeux et l'histoire personnelle du fameux Tom.
Ou Le discours d'un roi, dans un autre genre, qui nous donne un aperçu de l'atmosphère qui régnait en Europe à la veille de la seconde guerre mondiale, et des enjeux que le personnage doit affronter, à travers son parcours personnel.
Pour Bohemian Rhapsody, c'est à peine si on sait en quelle année on est, et c'est passer à coté de beaucoup de choses.
D'autant qu'on aurait bien besoin de quelques éléments auxquels se raccrocher, car l'histoire n'est pas non plus des plus prenantes. C'est un autre problème classique des biopics. Raconter une histoire suppose de passer par certaines étapes, situation initiale, obstacles à franchir, climax et dénouement pour le personnage. Certains biopics contournent cette difficultés en se concentrant sur un élément précis de la vie de leur sujet. Les figures de l'ombre par exemple, voit ses personnages lutter pour obtenir certaines choses comme la reconnaissance de leurs compétences, et le film se finit après qu'elles aient chacune accompli quelque chose et obtenu ce qu'elles voulaient. Même chose pour le discours d'un roi. Ce qui permet au film de maintenir une certaine tension, et de laisser le spectateur avec une sensation d'accomplissement, mais aussi un attachement pour son sujet. On s'est battu avec le personnage pour obtenir quelque chose, on l'a vu en difficulté et on l'a vu triompher des obstacles, un lien s'est créé.
Et puis il y a les biopics qui se contente de raconter la vie de leur personnage. Il a fait ça, ça et ça, et ensuite il est mort. Alors, c'est intéressant, mais pour ce qui est de créer des liens, on repassera. Quand à maintenir l'attention du spectateur, c'est encore une autre histoire.
Bohemian Rhapsody n'a pas que des défauts, je ne dis pas le contraire. L'interprétation de Remi Malek est excellente, et unanimement saluée. Et puis il y a des chats partout et ce n'est pas à négliger. Mais le film n'a pas vraiment de gout, pas vraiment de message. On sent que ce n'est pas vraiment le film qui était prévu au départ, qu'il est passé par la moulinette des goûts obtus des producteurs, et puis des autres membres de Queen aussi (ce qui est dommage, car le film oscille entre “un film sur Freddie Mercury” et “un film sur Queen”, sans vraiment bien trancher. La mise en avant des autres membres du groupe, c'est une bonne chose, mais c'est fait de façon limite grossière et pas du tout naturelle. Et puis soyons honnête, Queen c'est sympa mais moi ce qui m'interesse, c'est la vie de Freddie Mercury, ce flamboyant petit chaton queer).
Je ne suis pas complètement honnête en disant que le film n'a pas de message. On sent une timide tentative, à base de l'importance d'être soi-même. Résumée en deux phrases rapidement énoncée par Freddie au début et à la fin du film. Et c'est peut-être ça le pire. Car c'est un bon message, un message important, surtout de la part de quelqu'un d'aussi hors-norme. Et il mériterait mieux que ça, mieux que cette molle justification à l'existence d'un film qui est finalement surtout là pour profiter de la popularité d'un groupe historique et de son leader pour faire des entrées. C'est un message qui devrait crié, hurlé de façon flamboyante par Freddie Mercury vers tous les artistes, queer, et personnes atypiques de part le monde qui ont besoin qu'on leur dise “tu as le droit d'exister, tu as le droit d'être toi-même, et même tu es quelqu'un de fabuleux et d'incroyable en étant toi-même”. C'est ce message que le film aurait pu nous apporter et qu'il nous vole, et c'est bien la raison pour laquelle on s'en passera.
Neko - 12/11/2018