le 28/08/2015
Bon, jusqu'ici on s'amuse bien, on a fait des petits road trip dans le passé, vu des choses amusantes (et d'autres se rapprochant plus de la tragédie greque, le classique "en retournant dans le passé j'ai déclenché les évenements que je voulais justement éviter" étant un très bon ressort narratif), mais on a pas vraiment agit. Or quite à s'embêter à inventer une bonne vieille machine à remonter le temps, hein, autant que ce soit pour jouer un peu avec et essayer de changer son passé.
C'est l'approche choisie par bon nombre de scénarios et généralement c'est là qu'on commence à se vautrer gaiement dans la douce piscine de l'incohérence et du paradoxe temporel. Mais histoire de bien comprendre les enjeux est les implications de ce genre de modification temporelle, je vous propose de nous intéresser à une série de film bien connue qui s'en donne à coeur joie sur le sujet, à savoir les fameux Retour vers le Futur.
Tout de suite le style est posé
Retour vers le Futur, cultissime trilogie dont le premier opus est sorti en 1985 (les suivants en 1989 et en 1990), qui relate les aventures de Marty McFly et les diverses péripéties qu'il affronte à travers le temps.
Marty est initialement un jeune homme plutôt normal (autant qu'il est possible de l'être au milieu des année 80), dont les sujets de préoccupation principaux sont sa petite amie et la musique. Marty dispose également d'un voisin un peu chelou, Dr Elmet Brown (ou Doc pour ceux qui ne dispose pas d'une bonne mémoire des noms) dont l'activité est d'être un inventeur fou. C'est bien sur à lui qu'on doit l'invention de la machine à remonter le temps (sous forme d'une Dolorean, je pensais qu'ils avaient inventé le nom mais en fait c'est une vrai marque de voiture figurez-vous). Suite à une improbable situation impliquant une course poursuite avec des terroristes et du vol de plutonium (dans les années 80, on se baladait tranquilou avec des caissons radioactifs, ça explique des choses sur les coiffures de l'époque je suppose), Marty se retrouve embarqué 30 ans dans le passé, où il empêche accidentellement la rencontre de ses parents en se balladant au milieu de la rue comme un couillon. C'est un peu facheux parceque du coup il risque de ne plus exister, et il va donc essayer de réparer ses bêtises avec l'aide de Doc-du-passé, et aussi de rentrer chez lui parceque les années 50 c'est sympa mais bon, on s'en lasse.
Retour vers le futur est un des premier film (et surtout, une des premières grosse production grand public) à parler de voyage dans le temps est elle va mettre en place un certain nombre de poncifs qui seront repris avec allégresse dans les productions qui la suivront.
Le premier film propose notamment une réécriture interessante des deux grands types de paradoxe temporel qu'on cite souvent en exemple, à savoir le paradoxe du grand-père et le paradoxe de l'écrivain. Le paradoxe du grand pere, je le rappelle, le fait de retourner dans le passé pour tuer son grand pere, ce qui empêche sa propre naissance, donc de tuer son grand-père, etc (vous n'avez qu'à retourner lire l'épisode 2 si ce n'est pas clair). Le paradoxe de l'écrivain consiste à créer une boucle fermée sur l'existence d'un élément, si bien qu'on ne peut en determiner l'origine. Typiquement, vous partez dans le passé donner un exemplaire de Hamlet à Shakespeare, celui-ci le publie, c'est un succès, si bien que des siècles plus tard vous avez un exemplaire de Hamlet à donner à Shakespeare, c'est bien sympa mais du coup on ne sait pas qui a écrit Hamlet reellement. L'existence de ce texte n'a paradoxalement pas de début, c'est le bordel.
L'équivalent dans Retour vers le futur est bien sur la fameuse Dolorean à Voyager dans le temps. Coincé dans le passé, Marty doit convaincre Doc qu'il vient bien du futur et que Futur-Doc inventera la machine à voyager dans le temps. Doc prend donc la décision de réaliser cette machine car il sait qu'il va réussir, vu qu'il l'a vu. De plus il a l'idée du système permettant de faire fonctionner sa machine en voyant ledit système en action sous ses yeux sur la machine qu'il va créer... D'où sort ce système, on ne sait pas, il existe parcequ'il il existe, son existence n'a pas de début bien défini est c'est donc une variante du paradoxe de l'écrivain. (En bas de l'article, un lien interessant parlant du paradoxe de l'écrivain, au cas où vous n'auriez pas compris ces limpides explications).
Plus visible est la variante utilisée du paradoxe du grand-père, une variante un peu plus subtile puisque, sans tuer qui que ce soit, Marty empêche la rencontre de ses parents et enclenche donc sa propre disparition.
Bon, techniquement ça devrait poser quelques problèmes, car si c'est parents ne se sont pas mariés Marty ne devrait pas exister du tout ce qui en plus de déclencher un méchant paradoxe entrainerait sa disparition immédiate (il n'aurait même jamais été là), ce qui aurait été dommage à la fois pour lui et pour le film. Ce dernier résoud le problème en exposant que la disparition de Marty est progressive. On peut voir sur une photo de sa fratrie (quel ingénieux élément de mise en scène) que son frère et sa soeur disparaissent peu à peu chacun leur tour, et qu'ensuite ce sera lui.
En gros nous avons donc une réalité d'origine qui en un point a été modifié par Marty (on verra qu'elle a été modifié en plus d'un point mais bref, pour l'exemple on retiendra cet élément). Le cours des évenements sur le reste de la branche temporelle va donc se modifier à partir de ce point, chaque modification entrainant son propre lot de modification, etc etc. Il y a donc une propagation des modifications dans la ligne temporelle qui n'est pas instantanée et c'est pour cela que Marty ne disparait pas tout de suite : les modifications ne se sont pas encore propagées jusqu'à lui. C'est plutôt heureux puisque ça va lui donner le temps de rafistoler la réalité en provoquant tout de même la rencontre de ses parents et d'éviter sans doute une explosion du continuum espace-temps, quel soulagement.
"Diantre!", pense Marty
Ca c'est pour la théorie générale mais le film s'amuse également à tisser tout un tas de lien entre le passé (1955) et le présent (1985) (c'est le présent pour Marty, évidemment. C'est interresant de penser que 1955 est aussi éloigné pour Marty que 1985 l'est pour nous, d'ailleurs). En particulier, à son arrivée en 1955, Marty, tout surpris (ça peut se comprendre) et quelque peu inconscient des règles de prudence basiques du voyageur temporel, va provoquer tout un tas de micro-évenements qui vont conduire au présent qu'il connait. Il donne par exemple l'idée au serveur Goldie Wilson de devenir maire, ce qu'il réussira effectivement à faire dans les années 80.
Mais plus compliqué il va aussi provoquer des évenements qui entraineront des modifications notables sur son propre présent, par exemple en permettant à son père d'avoir confiance en lui, de devenir écrivain à succès et de ne plus se laisser faire par le caid de l'école (par chance, ces modifications là n'ont pas entrainé de changements fatals à son existence, Marty est un petit chanceux).
Au final le résultat de ses bidouilles sera de créer un présent alternatif, proche du présent duquel il vient, mais avec un certain nombre de variations notamment autour de sa famille (en l’occurrence, ça lui a aussi permis de résoudre certains de ses problèmes de début de film et d'apprendre une leçon importante à base de il faut croire en ses propres capacités, ce qui est toujours utile). Je sens que nous avons présentement besoin d'un petit schéma explicatif, que voici.
Ici nous avons donc la branche temporelle d'origine qui se déroule jusqu'en 1985, avec nos deux persos principaux, Doc et Marty. Marty est né entre 1955 et 1985, Doc est né avant 1955. En 1955, les parents de Marty se rencontrent, et de son coté Doc à l'idée de la machine temporelle. En 1985, Doc a réussit à fabriquer sa machine temporelle et la montre à Marty. Après divers incidents, Marty se retrouve propulsé en 1955.
En 1955, Marty empêche la rencontre de ses parents. Il y a donc création d'une réalité parallèle dans laquelle il n'existe plus, comme on peut le voir là dessus. Il y donc une divergence dans les lignes temporelles à partir de 1955 : celle d'origine commence à disparaitre.
Marty fait des pieds et des mains pour que ses parents se rencontrent à nouveau et réussit ! Mais il provoque également d'autre changements, si bien qu'on ne revient pas à la ligne temporelle d'origine mais crée une nouvelle divergence, donc nous avons une troisième ligne temporelle. Toutes les précédentes disparaissent et sombrent dans l'oubli. Si la nouvelle ligne temporelle a quelques différences, elle contient toujours les éléments qui ont déclenché le premier voyage temporel (invention de la Dolorean, existence de Marty, attaque des terroristes), donc pas de paradoxe majeur et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Du moins jusqu'aux films suivant! Mais on va se les garder pour un prochaine article, parceque ça commence à faire long.
Il est à noter qu'en retournant dans le passé, Marty provoque des événements qui vont donner lieu à des éléments qui existaient déjà dans sa ligne temporelle d'origine. Par exemple il incite un des personnages à devenir maire. Est-ce que ces évenements ce seraient produits si Marty n'était pas allé dans le passé? Auquel cas on peut penser que la ligne temporelle d'origine était déjà le résultat d'un voyage temporel de Marty, dans lequel il n'aurait pas empêché la rencontre de ses parents (première version), où il aurait juste retrouvé le Doc pour rentrer chez lui. Voila qui donne à réfléchir!
Quoiqu'il en soit Retour Vers Le Futur est un très bon exemple de l'utilisation des voyages temporels dans une histoire. Il établit dès le début les règles liées au voyages temporels et les expliquent clairement afin que le spectateur soit armé pour bien comprendre les enjeux et la suite de l'aventure. Il met en place des conditions précises pour permettre le voyage temporel et y met des limites pour expliquer pourquoi on ne peut pas l'utiliser n'importe quand, n'importe comment. Il est assez intéressant de noter que le fait de posséder une machine temporel ne met pas à l'abri de tout : en effet si elle est utile dans sa temporalité d'origine, elle ne peut pas fonctionner (ou alors au prix de grosses difficultés) dans le passé car les technologies nécessaires à son fonctionnement ne sont pas aussi facilement disponible que dans sa temporalité d'origine. C'est donc certes une machine à voyager dans le temps mais aussi un objet intimement lié à une époque, quand dans beaucoup d'histoire il s'agit d'une machine presque magique, contrôlée depuis une époque très futuriste, une sorte de joker dont l'existence justifie l'histoire, mais qui ne prend pas part elle-même à l'histoire. Alors que la Dolorean à voyager dans le temps est non seulement emblématique de la sage mais est un des enjeux majeurs dans le scénario d'au moins deux des trois films.
Pour finir si comme beaucoup (voir la totalité) des histoires impliquant des voyages temporels, Retour Vers Le Futur n'est pas exempt de défauts et d'incohérence, la saga prend ouvertement le parti de ne pas s’appesantir dessus. Elle garde à l'esprit qu'il s'agit avant d'un divertissement et qu'on n'attend pas d'elle qu'elle se complexifie inutilement etn oie les spectateurs sous les détails pour établir une cohérence parfaite. On peut le faire et obtenir de très bonne histoire, je ne dis pas le contraire, simplement Retour Vers Le Futur fait délibérément le choix de se considérer d'abord comme du divertissement et de ne laisser passer quelques erreurs et incohérence, au profil d'un film plus rythmé, fun et agréable à regarder. Je trouve cette approche plus saine que certaines autres qui se prennent trop au sérieux et se parent du drap vertueux de la perfection scénaristique et de l'exactitude scientifique pour ne pondre que des scénarios chiants, trop complexes et malgré tout truffés d'erreur. Par ailleurs en restant relativement simple dans ces postulats, Retour Vers Le Futur évite finalement beaucoup d'erreurs et d'incohérences qui auraient obligatoirement résulté d'une trop grande complexité et d'un trop grand nombre de règle (plus il y a de règles, plus il y a de risque de les enfreindre). Ce qui nous apprend une nouvelle leçon sur l'utilisation des voyages temporels : vouloir faire trop compliqué trop vite est généralement une source d'échec. Clarté et simplicité sont souvent plus efficaces.
Neko - 28/08/2015